François Delancourt (1) reçoit

Touxoua Lyfoung (2)

de la résistance nationale laotienne

 

FD – Quelle est aujourd’hui la situation politique du Laos ?

TL – Le Laos est un territoire placé sous administration communiste vietnamienne depuis 1975, date à laquelle l’armée communiste nord-vietnamienne a investi le pays .

- Sur le plan politique une poignée d’hommes, moitié laotienne, moitié vietnamienne, formée dans les grottes, dirige le pays de main de maître. Le régime politique est de type stalinien. Toutes les décisions importantes sont prises à Hanoï et par Hanoï. Le parti communiste lao dit Parti Révolutionnaire Populaire Lao exécute à la lettre les ordres du parti frère vietnamien. C’est pourquoi il a fait assassiner le Roi, la Reine, le Prince Héritier, les Ministres et pratiquement tous les officiers généraux laotiens détenus à la frontière vietnamienne. Toute opposition ou toute contestation est passible de peine capitale ou de prison à vie. Au Laos les prisons politiques où l’on meurt, affamé, squelettique, amnésique et aveugle sont de rigueur et naturellement toujours interdites aux observateurs étrangers et aux organismes humanitaires internationaux. Puisque le régime ne repose sur aucun assentiment populaire, les dirigeants sont obligés de tuer pour rester au pouvoir. Dans cette République Démocratique Populaire Lao, les Hmong sont particulièrement réprimés parce qu’ils n’acceptent pas la vietnamisation du Laos. Le génocide des Hmong n’est pas un vain mot.

- Sur le plan économique le Laos est dans le peloton de queue des pays les plus pauvres de la planète. Le traitement d’un haut fonctionnaire, de l’ordre de 15 à 20 dollars par mois, ne lui permet même pas d’acheter un sac de riz pour nourrir sa famille. La monnaie nationale n’arrête pas de déprécier d’année en année. Avant 1975 le cours du dollar oscillait entre 600 et 800 kips. Le fonctionnaire, le commerçant, l’ouvrier et le paysan, avec un revenu mensuel entre 80 et 100 dollars, vivaient convenablement, sans trop se serrer la ceinture . Aujourd’hui, sous le régime communiste, le dollar vaut 4 800 kips. Le papier servant à imprimer le kip coûte dix fois plus cher que la valeur du kip elle-même. Le pouvoir communiste et l’administration vivent exclusivement de l’aide étrangère et de la corruption qui atteint le niveau de la honte. Les dignitaires et les cadres du parti constituent la nouvelle caste des riches dans le pays. C’est du jamais vu dans toute l’histoire du Laos. En vingt trois années de gestion communiste, malgré des aides internationales qui se chiffrent en milliards de dollars, l’économie nationale n’est pas encore à son stade de démarrage. On exporte pratiquement rien. La seule activité qui rapporte des devises étrangères au pays, c’est la vente de l’électricité produite par une centrale hydraulique qui date de l’ancien régime. Vientiane reste la capitale la plus sale du monde. Le nouveau régime n’est même pas capable d’entretenir l’infrastructure existante laissée par l’ancien régime. Depuis quelques années il y a un semblant d’ouverture pour duper les investisseurs pigeons étrangers. Le résultat en est que 95% des investisseurs ont été spoliés par le régime et par ses dirigeants qui mènent une vie mafieuse .

- Sur le plan social et "culturel", les maisons closes, les boîtes de nuit et les salons de massage poussent comme des champignons. Le nouveau régime exploite jusqu’à la chair de ses enfants qu’il offre aux touristes étrangers pour quelques baths, quelques francs ou quelques dollars. On peut dire que la prostitution est une activité commerciale qui rapporte au Parti et à l’Etat. Tout le monde en profite, sauf le malheureux peuple qui doit crever, matin et soir, pour avoir son bol de riz. On a même créé des casinos réservés aux étrangers, exclusivement. Les nationaux y sont interdits. En voilà un bel exemple d’indépendance et de souveraineté nationale tant vantées par le nouveau régime .

- Sur le plan démographique, la population laotienne croît à une vitesse vertigineuse en vingt ans. Avec seulement 3,5 millions d’habitants en 1974, un exode vers la Thaïlande de plus de 400 000 laotiens entre 1975 et 1978, une déportation massive, dont personne ne connaît le nombre exact, dès la prise du pouvoir par les communistes ( soit plusieurs dizaines de milliers de familles séparées, déchirées ), plus de 100 000 morts assassinés ( chiffre avancé par les étudiants communistes laotiens se trouvant en Europe de l’Est au moment de la chute du Mur de Berlin et cité comme l’œuvre humanitaire du dictateur Kaysone Phomvihan, le vietnamien propulsé Premier Ministre du Laos par le Vietnam ) et un taux de mortalité encore élevé sans compter les années de disette et de misères, on ne sait pas d’où sont sortis tous les laotiens qui peuplent actuellement les provinces du Nord et les frontières Est du Laos. Aujourd’hui, on avance le chiffre d’une population avoisinante de 5 millions d’habitants. Tant mieux si les communistes savent mieux faire des enfants que les autres .

FD – Qui soutient politiquement ou militairement le régime en place ?

TL – Au temps du Mur de Berlin, le régime communiste laotien était soutenu militairement ( et économiquement ) par l’invincible URSS, par le Vietnam et par les pays de l’Europe de l’Est qui formaient les cadres du parti communiste lao. Aujourd’hui le régime en place est soutenu par les pays frères restants, à savoir la Chine, la Corée du Nord, le Cuba et surtout le Vietnam envers qui les dirigeants communistes laotiens ont une dette de sang. Je rappelle que le Vietnam compte environ 80 millions d’habitants sur un territoire de 335 000 km2 et que le Laos n’en compte que 4 millions sur 236.000 km2. Le rapport de force est de 1 contre 20 .

Politiquement le régime communiste laotien est soutenu par l’ensemble de la Communauté Internationale dont principalement les Grandes Démocraties Occidentales, le Japon, l’Australie, et par les Organisations Internationales comme l’ONU, le FMI, l’ANASE etc . Cela nous fait de la peine de voir nos anciens amis et compagnons d’armes retourner leurs vestes contre nous pour collaborer avec l’ennemi de la démocratie. Les pays communistes comme la Chine, la Corée du Nord, le Cuba et le Vietnam ne soutiennent pas politiquement le régime en place . Ils l’exploitent ! Dans les années après 1975, on a vu le Laos communiste voter contre la Chine, à l’ONU. Soviétiques et chinois, puis chinois et vietnamiens se faisaient la guerre entre eux. Curieusement l’éloge du régime communiste laotien ne vient pas du côté des pays totalitaires frères mais du côté des pays libres qui nous invitent à investir notre pognon dans un pays sans foi ni loi. Nous en souffrons. Mais nous comprenons nos amis européens et américains qui, doctrine oblige, ne reconnaissent que le vainqueur, qu’il s’appelle Lénine, Staline, Hitler, Ceausescu, Mao Zédong , Hô chi Minh, Castro ou Pol Pot .

 

 

 

FD – Que représente la France pour les laotiens réfugiés ou qui vivent encore dans leur pays ?

TL – Historiquement, pour les laotiens réfugiés ou vivant encore dans leur pays, la France représente une puissance protectrice contre l’expansion territoriale annamite et siamoise. A partir des débris du Royaume du Lanxang, la France a construit un Etat Lao. Sans l’intervention de la France il n’y aurait pas eu ce pays que nous appelons le Laos et que nous aimons tant. Moi-même, je serais un vietnamien ou un thaïlandais. Si la France était venue en Asie quarante ans plus tôt, peut-être le Royaume de Champa existerait encore sur la carte du monde .

Avant l’arrivée de la France, l’école publique et la santé publique n’existaient pas. Et bien qu’en nombre insuffisant, en raison de la très faible densité de la population, c’est la France qui a introduit en pays lao l’école publique et la santé pour tous. Les inégalités et les injustices régnaient parmi les populations indigènes. Les ethnies minoritaires, parce qu’elles ne connaissaient pas leurs droits, subissaient la loi de l’ethnie majoritaire et n’avaient pas droit à la parole. Grâce à la présence française, peu à peu, toutes les ethnies habitant le Royaume du Laos sont devenus des citoyens égaux . La nation lao est née .

La France est restée soixante années au Laos. Elle n’a pas assassiné un seul roi laotien et n’a pas construit un seul camp de rééducation politique ou de lavage de cerveau. Aucune famille laotienne ne voulait quitter le pays pour venir s’installer en France .

Depuis 1975, date de l’occupation du Laos par l’armée communiste vietnamienne, le régicide, le génocide, l’épuration ethnique, les camps de concentration, les prisons politiques, les chambres de torture, les exécutions sommaires, le couvre-feu, les pluies de gaz toxiques sont monnaie courante et font partie des relations dites spéciales entre le Laos et le Vietnam .

 

 

 

 

Aujourd’hui que représente la France pour les laotiens réfugiés

ou qui vivent encore dans leur pays ?

En aidant politiquement, économiquement et financièrement le régime dictatorial en place, en laissant mourir ses amis dans les prisons de torture communistes, sans dire un mot, et en négligeant complètement la résistance nationale laotienne, la France a abandonné son rôle de médiateur pour entrer dans ce que les gaullistes appelaient la collaboration. Le mot est pénible à prononcer. Mais on n’en a pas inventé d’autre . En 1940 les américains et les anglais n’ont pas hésité à soutenir le général de Gaulle parce que son combat était juste. Aujourd’hui j’ai l’impression que tout le monde se met à genoux devant l’ennemi de la liberté .

FD – Comment est organisée la résistance anti-communiste au Laos ?

TL – La résistance Lao s’est organisée dès le jour où les communistes laotiens et vietnamiens ont aboli la Monarchie, assassiné toute la Famille Royale, assassiné les Ministres et hauts fonctionnaires qui ont choisi de rester au pays et, assassiné les officiers généraux laotiens détenus dans les prisons communistes. Elle s’est accentuée après le génocide des Hmong, entre 1976 et 1979. Malheureusement nous nous sommes battus seuls. Nos amis français, américains et thaïlandais ont préféré jouer la carte de la collaboration avec le régime totalitaire en place. Personne ne dit mot pour nous encourager. Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par le régime communiste laotien sont passés sous silence. Personne n’en a su ! Personne n’en a entendu ! Les pol-pot laotiens courent toujours. On les reçois même en tapis rouge et on offre de fastueux banquets en leur honneur dans les salons officiels. Le cœur du peuple laotien saigne .

Depuis 1975 la résistance laotienne s’organise partout, d’abord à l’intérieur du pays, puis progressivement dans tous les pays du monde où vit une communauté laotienne ou un seul laotien libre ? Le communisme est tout le contraire de nos mœurs, de nos traditions, de nos cultures, de nos habitudes, de nos modes de vie, de nos croyances, bref de tout ce qui règle harmonieusement notre vie en famille et en communauté depuis des siècles et des siècles . Mais pour nous la vie d’un résistant est bien trop précieuse. Même contre mille vies communistes nous ne l’échangerons pas. C’est peut-être cela notre faiblesse. L’armée communiste laotienne, non payée depuis plusieurs années, est pratiquement inexistante. Mais nous avons toutes les raisons de nous méfier de l’armée communiste vietnamienne omni-présente au Laos, celle-là même qui a battu et humilié le Géant France en 1954 et le colosse Amérique en 1975. Une chose nous rassure cependant, c’est qu’au Vietnam aussi la résistance anti-communiste s’organise .

FD – Que pensez-vous des récents propos de Lionel Jospin qui s’est félicité d’avoir des ministres communistes dans son gouvernement ?

TL – Je pense que Monsieur Lionel Jospin, emporté par la passion du pouvoir, ne sait pas ce qu’il dit. Quand on a lu l’archipel du Goulag, quand on a lu le livre noir du communisme, quand on sait ce qui s’est passé dans le camp n°113 au Nord-Vietnam dans les années 1954, quand on sait ce qui s’est passé au Cambodge sous le communiste Pol Pot, quand on connaît le chiffre effrayant des victimes du communisme depuis Lénine à ce jour, et surtout quand on est le Premier Ministre d’un pays dont les enfants sont morts sur le champ de bataille en Corée, en Indochine et en Algérie, on n’a pas le droit de dire que l’on est fier d’avoir des communistes dans son gouvernement. Ou alors il faut admettre que la France a trompé et a trahi tous ses amis dans le passé . Le général de Gaulle lui-même, ayant mis des éléments communistes dans son gouvernement en 1945 pour calmer les appétits territoriaux de Staline, n’a pas dit qu’il en était fier. Le maréchal Pétain n’a pas dit qu’il était fier d’avoir des allemands à Paris et à Vichy. La France et les français ont la chance de n'avoir pas connu un pouvoir communiste à l’Elysée ou à Matignon ( merci les yankees ! ). Les braves français de 1940 à 1945 ont mis cinq longues années pour se débarrasser du nazisme. Si la France était soumise à une dictature communiste comme l’étaient les pays de l’Europe de l’Est, au rythme de la disparition de ces régimes de l’aliénation de l’homme par l’homme, il aurait fallu qu’elle attende 1990 ou 1991 pour s’en défaire . Et aujourd’hui, en 1999, l’économie de notre France serait au niveau de la Pologne, de la Roumanie, ou de la Russie tout au plus. Au lieu d’être dans l’Europe ou artisan de l’Union européenne, la France serait entrain d’en faire sa demande d’adhésion. En serions-nous fiers ? La question pourrait être posée à Monsieur Lionel Jospin .

FD – Pensez-vous que le pouvoir communiste qui dirige le Laos en ait encore pour longtemps ?

TL – De l’avis général, tant que le Vietnam restera communiste on ne pourra rien changer et rien faire au Laos. Les dirigeants communistes laotiens le pensent aussi. C’est pourquoi ils en profitent au maximum. Le pouvoir leur a été offert sur un plateau par les vietnamiens. L’avenir du pays ne les intéresse pas. Les dignitaires du parti communiste laotien dont le nombre ne compte plus que sur les doigts d’une main sont des criminels de guerre. Ils ne sont pas là pour reconstruire le pays ( ils ne savent pas le faire ! ), mais pour profiter des privilèges et des plaisirs de la vie et, en faire profiter à leurs frères et maîtres vietnamiens. Communistes vietnamiens et communistes laotiens ont tous intérêt à ce que cette situation dure le plus longtemps possible. Je ne trouve pas le mot exact pour les qualifier . Je sais seulement que c’est l’opposé de ce que les communistes laotiens appelaient leurs "  dirigeants intelligents et clairvoyants  ". J’ajoute que c’est aussi grâce à la complicité des pays libres qui continuent à donner aux dictateurs et aux criminels de guerre indochinois que le pouvoir communiste laotien a survécu à ce jour et que, malheureusement pour le peuple laotien, il survivra encore quelques interminables années .

Personnellement je refuse de lier le destin de mon pays à celui d’un Vietnam communiste impérialiste cynique. Je pense que le problème laotien peut être résolu dans le cadre des Accords de Genève de 1962 sur la neutralité du Laos, si chaque pays signataire met un peu du sien et respecte, pour une fois, les engagements pris. Je suis persuadé que si l’Occident nous aide, le peuple laotien retrouvera sa liberté. Nous comptons encore beaucoup sur la France et sur nos amis français pour trouver avec nous une solution politique au drame qui sévit le peuple laotien depuis 1975. C’est aussi l’appel solennel que je fais la communauté internationale .

 

 

  1. François Delancourt, journaliste dirigeant la rubrique "  L’invité< " au magazine " Français d’abord "
  2. Touxoua Lyfoung, Président du Parti Nation Lao