Interview exclusive de MonsieurTouxouaLYFOUNG

Président du Parti Nation Lao accordée à

Hmoob Vam Meej

Le deuxième Congrès du Parti Nation Lao qui s'est tenu à Louvres ( 95 - Val d'Oise ) le 23 Juin 1996 a élu Monsieur Touxoua LYFOUNG à la tête du Parti pour un mandat de trois ans. Hmoob Vam Meej s'est rendu au domicile du nouveau Président du Parti Nation Lao, à Draveil ( 91 - Essonne ), pour recueillir ses premières impressions. En voici un extrait :

HVM : - Vous venez d'être élu Président du Parti Nation Lao. Pouvez-vous nous dire comment cela s'est passé ?

TL : - Cela s'est passé comme dans toutes les élections libres et démocratiques. Trois mois avant le Congrès nous avons procédé à une sorte de sondage auprès des membres du Parti pour avoir une idée de ce qu'ils souhaitaient. Nous posions à chacun trois questions, à savoir s'il était lui-même candidat à la présidence du Parti, s'il avait un choix particulier sur une personne ou s'il souhaitait la reconduction du Président sortant pour un second mandat . Les résultats étaient assez favorables à ma candidature, mais je n'étais pas candidat. Le Président sortant, le Prince Mangkra SOUVANNAPHOUMA, non plus, ne souhaitait pas se présenter pour un deuxième mandat. Après une consultation rapide des membres dirigeants du Parti, deux noms furent proposés au Congrès, dont le mien et celui de mon ami Foy SOUVANLASY, membre fondateur du Parti. Par un vote régulier à bulletin secret, je n'ai eu que quelques maigres voix d'avance sur mon ami et rival, mais les statuts et le règlement intérieur du Parti voulaient que celui d'entre nous qui obtenait la majorité des voix exprimées accepte la charge présidentielle . Je me suis donc plié au règlement.

HVM : - Comment a été créé le Parti Nation Lao ? Quels sont ses buts ? Et quel est votre programme politique ou plutôt quels seront vos actions dans les mois et les années à venir ?

TL : - Vous posez beaucoup de questions. Mais je crois qu'elles sont liées entre elles.

Je vais donc vous répondre point par point, sans toutefois entrer dans les détails.

- Le Parti Nation Lao a été créé immédiatement après le Deuxième Congrès du Mouvement pour la Démocratie au Laos ( MDL ) à Achères en Mars 1992, à l'initiative de quelques congressistes dont le Prince Mangkra SOUVANNAPHOUMA, Monsieur Lyxuxu LYFOUNG, le Colonel Ngeunsamlit DON SASORITH, Monsieur Foy SOUVANLASY, Madame Khamtanh SAYARATH, le Colonel Souy INTHAVONG, le Colonel Somboun KENNAVONG et moi-même, dans le but de renforcer le MDL dans sa structure d'organisation et dans ses actions patriotiques futures. Au départ nous voulions être une composante énergétique dans le moteur du MDL, à côté du Nèo Hom de Phagna Houmphanh SAIGNASITH et du Front National de Libération du Peuple Lao de Phagna Inpèng SURYADHAY Président élu de la nouvelle Organisation. Nous voulions rassembler les membres du MDL qui n'appartenaient ni au Nèo Hom ni au FNLPL ( communément appelé NPPX ), c'est à dire les non-inscrits dans le jargon politique, pour constituer une force politique à l'intérieur du MDL. N'oublions pas que le MDL avait initialement une optique fédérative et non pas une optique partisane. Dès la création du Parti Nation Lao notre premier acte politique fut la signature d'un pacte d'alliance avec le NPPX pour soutenir le MDL. Mais très vite on faisait circuler les bruits entre Taiwan, Paris, Perpignan, Washington et la Californie que le Parti Nation Lao travaillait pour le compte de Vientiane. Dans les Etats Majors du Nèo Hom on préparait un coup bas contre le Prince Mangkra SOUVANNAPHOUMA et, à travers lui, contre le Parti Nation Lao. Treize mois après le Congrès du MDL, alors que les statuts du MDL ne lui donnaient plus de pouvoir, le Président du MDL-Europe, élu pour un an, décida de son propre chef de destituer son Secrétaire Général qui était à la fois membre fondateur du MDL et membre fondateur du Parti Nation Lao. A partir de cet instant il n'était plus possible pour le Parti Nation Lao de collaborer avec le Nèo Hom dans le cadre du MDL. Entre-temps nous apprenions que le Président Inpèng SURYADHAY s'est désolidarisé du NPPX pour former un Parti Politique qui n'a jamais vu le jour. Je trouve tout cela très regrettable. Il fallait donc que le Parti Nation Lao définisse sa propre politique et élabore sa propre stratégie. Néanmoins je suis resté membre du MDL par fidélité à l'idéal de rassemblement et de fédération lancé par le MDL, et par respect pour Phagna Inpèng SURYADHAY que je considère comme un grand et un vrai résistant laotien, au même titre que Phagna Louang Outhong SOUVANNAVONG le Général VANG Pao, le Prince Mangkra SOUVANNAPHOUMA, Phagna Houmphanh SAIGNASITH, le Général Bounleuth SAYCOCIE et le Président Pakao HEU.

- Le programme politique du Parti Nation Lao comprend trois grands volets :

1 - Nous nous battons pour la Liberté, la Démocratie, la Justice et le Respect des Droits de l'Homme dans notre pays, dans le cadre des Accords de Genève de 1962 sur la Neutralité du Laos et de 1973 sur l'Unité et la Concorde nationales.

2 - Nous souhaitons que le Laos redevienne une Monarchie Constitutionnelle pour éviter toute revendication d'ordre territorial, ethnique, racial ou religieux, néfaste à l'unité nationale.

3 - Nous demandons que les minorités ethniques laotiennes aient droit à leurs justes parts de responsabilité dans les organisations politiques, administratives, culturelles et sociales du pays.

 

- Mes actions politiques tournent autour de ces trois thèmes. Pour le moment, elles relèvent de la stratégie que je ne peux pas dévoiler. Sachez simplement que notre souci permanent est la recherche de l'unité de nos forces, tant politiques que militaires, pour mettre un terme à l'occupation de notre pays par la dictature et l'obscurantisme communistes. Nous n'aurons ni la démocratie que nous voulons, ni la Monarchie Constitutionnelle que nous souhaitons, ni la participation des minorités ethniques dans les organes de décision que nous réclamons, tant que le Parti unique fera sa loi et règnera en conquérant.

HVM : - On lit dans les journaux que le régime de Vientiane va changer. Votre lutte servira t-elle à quelque chose ?

TL : - C'est vrai que le régime contre-nature et anachronique de Vientiane va changer tôt ou tard . Mais laissez-moi vous dire une chose. Le régime va changer parce que nous le combattons sans relâche et que nous le condamnons constamment devant l'opinion mondiale. On n'obtient rien sans rien. C'est bien que ce régime change. Ainsi les laotiens pourraient-ils retourner au pays pour regarder les visages des bourreaux de leurs familles et de leurs proches. Mais là n'est pas notre objectif. Nous devons tout faire, et c'est le devoir de chaque laotien libre, pour que ce régime diabolique tombe, qu'il disparaisse et que l'on n'entende jamais plus parler du communisme laotien ou du communisme à la laotienne. On peut attendre sagement qu'il change. Mais si le changement est le fait des dirigeants actuels, les criminels d'hier vont devenir des anges de demain. Les Alliés ne voulaient pas seulement que Hitler change. qu'il ferme les camps de concentration. Ils voulaient stopper le nazisme.

 

HVM : - Vous avez parlé de Pakao HEU et du Général Bounleuth SAYCOCIE, les connaissez-vous ?

TL : - Je n'ai pas l'honneur de connaître le Président Pakao HEU, pas plus que je ne connais les généraux Yong Joua et MOUA Gnia-Tong , si non par les journaux, par les cassettes vidéo et par les ouï-dire. Mais je sais que eux et leurs hommes opèrent sur le terrain pour libérer le pays de l'occupation communiste nord-vietnamienne. Après tout, dans les années quarante les résistants français n'avaient pas besoin de connaître le Général de GAULLE. Quant au Général Bounleuth SAYCOCIE, je l'ai vu plusieurs fois à PARIS. Je sais une chose. le Général Bounleuth SAYCOCIE fait la résistance sur le terrain sous l'étiquette du Parti Solidarité du Peuple Lao pendant que d'autres discutent politique dans les grands salons parisiens et californiens, à des milliers de kilomètres du Laos. Le Général Bounleuth était l'homme de confiance du Prince Boun Oun NA CHAMPASSAC, ancien Vice-Roi du Laos, qui, avant sa mort, lui a confié, par lettre signée de sa main, le commandement supérieur des forces de libération du Laos. Comme j'avais une admiration pour le Prince Boun Oum NA CHAMPASSAC, je fais confiance au Général Bounleuth SAYCOCIE. Par ailleurs, le Parti Nation Lao a signé un Pacte d'Alliance avec le Parti Solidarité du Peuple Lao. Mes relations avec le Général Bounleuth s'inscrivent dans le cadre de ce Pacte.

HVM : - Quelles sont les relations du Parti Nation Lao avec les autres Organisations politiques laotiennes en France et à l'Etranger en général, comme la Famille Royale, l'OLREC, le Nèo Hom du Général VANG Pao avec qui vous auriez même passé un contrat ?

TL : - Je tiens d'abord à préciser que la Famille Royale n'est pas une organisation politique, mais une sorte d'Institution de droit divin respectée comme telle par le peuple. Dans l'ordre hiérarchique des Quatre Hautes Institutions de l'Etat on plaçait le Roi en troisième position après la Nation et la Religion, et avant la Constitution. En principe le Roi n'intervient ni dans l'exercice du pouvoir exécutif, ni dans l'exercice du pouvoir législatif, ni dans l'exercice du pouvoir judiciaire. On avait l'habitude de distinguer la Famille Royale Régnante et la Famille Royale Gouvernante. Aujourd'hui cela n'a plus raison d'être et n'a plus aucune signification. Car le gouvernement tient son pouvoir du peuple et pour le peuple. Cela suppose des élections législatives générales au suffrage universel pour élire les représentants du peuple. Cela suppose aussi l'existence d'une majorité à l'Assemblée Nationale ( députés ou parlementaires ) pour soutenir le Pouvoir Exécutif constitué à partir d'une volonté populaire représentative. Cela suppose enfin l'existence d'un texte législatif qui limite la durée du député ou du parlementaire, et par là-même celle du Pouvoir Exécutif pour éviter tout glissement vers la dictature ou le pouvoir personnel. Le Parti Nation Lao considère la Famille Royale comme une Institution à vocation d'arbitrage qui symbolise l'unité nationale et la continuité de l'Etat, et non pas comme une organisation politique. C'est pour cette raison que le Parti Nation Lao approuve et soutient sans réserve les actions du chef de la Famille Royale en vue de la Réconciliation Nationale. Je regrette que les organisations et les hommes qui avaient toujours soutenu la Monarchie n'aient pas répondu positivement à la proposition du Chef de la Famille Royale sur la constitution d' un Conseil des laotiens de l'Etranger .

- J'ai des relations amicales et cordiales avec les responsables de l'OLREC, mais il n'y a pas encore de rapprochement entre le Parti Nation Lao et cette Organisation Non Gouvernementale à but humanitaire. Si je me réfère aux dernières déclarations de l'OLREC, largement diffusées en France et en Amérique, l'OLREC défend la démocratie sans vouloir renverser la dictature en place. Elle se propose de fournir ses matières grises au gouvernement communiste de Vientiane dans l'espoir que Vientiane lui tend la main pour l'aider à trouver des solutions appropriées aux difficultés économiques du pays. J'ai moi-même visité le Laos en juillet 1989. Les matières grises n'y manquaient pas. C'est le système qui voulait que le pays reste dans la misère et dans la mendicité. Mes amis de l'OLREC me citent souvent le dicton laotien qui dit qu'un savoureux appât attire le gros poisson . Seulement j'ai bien peur que, dans cette histoire, le gros poisson avale à la fois, et l'appât et la canne à pêche, et le pêcheur avec. Je suis inquiet quand je lis les déclarations solennelles de l'OLREC . Mais j'ai totale confiance en la sagesse et en la clairvoyance du Président Chansamone VORAVONG et de son Secrétaire Général Kham-Ouane RATANAVONG dont le combat pour l'Indépendance du Laos et la souveraineté nationale ne date pas d'aujourd'hui.

- Depuis la création du Parti Nation Lao, et à notre initiative, nous avons réuni à plusieurs reprises les différentes organisations laotiennes de résistance et de lutte pour la démocratie au Laos en vue de mettre sur pied un Comité de Coordination de nos activités patriotiques en France, en Amérique, en Australie en Thaïlande et sur le terrain. Le Nèo Hom du Général VANG Pao, représenté en France par quelques éléments extrêmistes de droite, n'a jamais répondu à nos invitations. Il fait toujours cavalier seul taxant les autres de collaborateurs avec Vientiane. Ceci dit, je considère quand même le Général VANG Pao comme le plus grand Général que le Royaume du Laos ait jamais connu. Je pense que les autres généraux laotiens sont de mon avis. VANG Pao a les qualités indéniables d'un grand chef militaire. Il aurait été Ministre de la Défense Nationale, Chef d'Etat Major Général ou Commandant en Chef des Forces Armées Royales, le sort du Royaume du Laos aurait été différent. Son seul défaut, qui peut être en même temps une qualité, est la méfiance permanente des autres. Son erreur monumentale a été d'avoir envoyé ses troupes et ses serviteurs aboyer dans les rues de FRESNO ( Californie ) et de GREEN BAY ( Wisconsin ) au moment de la visite aux Etats Unis d'Amérique des dirigeants du Parti Nation Lao, au mois d'octobre 1993, sur les conseils de quelques misérables individus qui voulaient nuire à moi, à ma famille et au Prince Mangkra SOUVANNAPHOUMA. J'espère que de telles choses ne se reproduiront pas. J'aurais préféré voir les laquais du Général défiler et crier " A bas le communisme " devant l'Ambassade du Laos à Washington ou devant les Bâtiments de l'ONU à New York. Connaissant le Général VANG Pao que je respecte comme mon propre père, et en raison des liens affectueux qui nous lient depuis trente ans, je n'arrive pas à comprendre qu'il a pu agir de la sorte. Je préfère me consoler en pensant qu'il y a une troisième main dans cette malheureuse affaire, et que le Général VANG Pao et moi, nous menons le même combat pour les mêmes causes. Le Parti Nation Lao regarde toujours l'avenir . " L'union fait la force " reste notre devise.

C'est vrai que le Général VANG Pao et moi avons passé un contrat portant sur notre fidélité au peuple hmong. Nous nous sommes assermentés sur l'honneur de ne rien faire qui puisse diviser le peuple hmong ou porter atteinte à son unité. J'étais alors Membre du Conseil Suprême du MDL et Porte-Parole du Parti Nation Lao. Ce contrat moral était conforme au programme politique du Parti Nation Lao que je défendais et qui allait au delà de la simple unité hmong. Je n'avais donc aucun scrupule à m'y engager. Quelques mois plus tard, lors du voyage des membres dirigeants du Parti Nation Lao aux Etats Unis d'Amérique, l'un de nous a trahi l'autre en payant les hmong pour se manifester contre les hmong, à Fresno puis à Green Bay. Pour ma part j'ai la conscience tranquille.

- Avec les autres Organisations de lutte politique telles que l'Union Pour la Démocratie Lao ( UPDL ) du Docteur Somboun THORANINH et du Prince Chaosith NA CHAMPASSAC, le Lao Phattana Sat de Soukane SISOULTHONE et Thanom SRI-ANOUSOK qui regroupe une salade d'anciens neutralistes de Kong-Lè, de socialistes, d'ex-communistes et de sympatisants du nouveau régime, le Lao Séritham de Thao Sèng CHITDALAY, le Front National de Libération du Peuple Lao ( NPPX ) de Phagna Sithat SITTHIBOUN représenté en France par Khamphay THEPSOUVANH et Khamphèo LATHAMANY, et le Parti Solidarité du Peuple Lao de Bounleuth SAYCOCIE représenté en France par Khammone SOUVANNARATH, nous avons mis en place un Comité de Coordination qui n'a fonctionné que l'espace de trois réunions. Je sais pourquoi l'expérience a échoué . Je ne blâme personne. Le Parti Nation Lao continue son chemin. A défaut d'unité nationale en terre étrangère, nous la ferons au Laos avec ceux qui se battent sur le terrain .

HVM : - Sur un tout autre plan, que pensez-vous des tracts et des lettres anonymes invitant les réfugiés laotiens à se méfier des bonzes thaïlandais qui seraient ( tous ) des agents doubles au service de la Thaïlande ?

TL : - Personnellement je n'accorde aucun crédit aux lettres anonymes. Entre 1993 et 1994 j'en ai reçu moi-même une quinzaine dont certaines venant du Cher, du Var , des Bouches du Rhône et de la région parisienne, faisaient plus de vingt pages. On me traitait de tous les noms , me menaçant même de mort si je n'arrêtais pas la politique. Je ne connaissais pas les auteurs, mais je savais qui étaient les commanditaires. Une chose est sûre. Ces lettres anonymes m'ont rendu encore plus combatif.

Pour revenir à l'histoire des bonzes thaïlandais, puisque vous me posez la question , je dirai que c'est une querelle interne, ou plutôt une sorte de règlement de compte entre bonzes et entre les différentes organisations associatives de soutien au bouddhisme. La religion , vous le savez , n'a pas de nationalité . Je respecte autant les bonzes cambodgiens, les bonzes thaïlandais et les bonzes vietnamiens que les bonzes laotiens ou les bonzes sri-lankais . Les auteurs de ces lettres anonymes sont des laches payés pour accomplir une basse besogne . Ils montent toute une campagne de suspicion anti-thaïlandaise pour nous faire oublier que notre pays est occupé par les communistes vietnamiens, que les hommes qui dirigent actuellement le Laos sont des vietnamiens. Il y a trois ans ils ont sorti un document de 120 pages racontant les 200 ans de tentatives d'annexion du Laos par le Siam. Ils oublient volontairement de mentionner que, aujourd'hui sous leurs barbes, le Laos est annexé par le Vietnam. Le malheur est que l'intelligentsia laotienne de l'Etranger croit à cette version des lettres anonymes et des documents sans sources ni auteurs. Je vous fais remarquer aussi que très bizarrement certaines pagodes en France que nous fréquentons passent peu à peu sous contrôle des Associations dont les responsables ne cachent pas leur sympathie pour Vientiane. A ce stade d'explication je suppose que vous devinez déjà qui est derrière tout cela. Certes , en politique un adversaire peut devenir un ami, un ami peut devenir un adversaire. Mais l'ennemi restera l'ennemi. Nous avons perdu parce que nous avons mordu à l'hameçon de l'ennemi .

Sur la question religieuse, le Parti Nation Lao adopte une position claire. Il n'y aura pas de religion d'Etat dans le Laos de demain. Les pratiques religieuses sont libres tant qu'elles ne seront pas contraires aux intérêts de la famille, de la société ou de l'Etat. Je m'exprime ici en bouddhiste tolérant que je suis. Nous voulons un monarque qui règne à la thaïlandaise, à l'anglaise, à la canadienne, à l'australienne, à la suèdoise ou à la japonaise, mais qui ne gouverne pas. Naturellement cette question sera au préalable soumise à l'approbation du peuple sous forme de référendum . Nous voulons une Constitution fondée sur la Liberté , sur la Justice, sur la Démocratie, sur le Principe de la Séparation des Pouvoirs et sur le Respect des Droits de l'Homme. Nous défendons sans équivoque la langue Lao comme langue véhiculaire unique, mais nous tolérons et encourageons l'enseignement des langes et dialectes des minorités ethniques dans les écoles publiques comme langues facultatives. Dans les écoles privées d'enseignement général ou technique comme dans les écoles publiques, l'enseignement de la langue Lao est obligatoire et s'imposera à tous .

 

HVM : - A votre avis qui est actuellement le représentant légitime du Laos ?

TL : - Bien que le Roi Sisavang VATTHANA ait abdiqué en 1975 par un triste message lu solennellement par le Prince Héritier VONGSAVANG devant la Représentation Nationale, je considère que la Famille Royale reste le représentant légitime du Laos . Mon argument a un fondement historique. Je suis de ceux qui pensent que le Laos n'a pu exister à travers les siècles, contre vents et marées, que grâce aux courages et aux sagesses de nos Rois et de nos Princes. J'ai le coeur qui saigne quand je constate que nos Princes ne se comprennent pas ou parfois se déchirent. J'ajoute que si la Famille Royale ( Vang Louang , Vang Na et Principauté de Champassac confondus ) est le représentant légitime du Laos, elle n'est pas représentative du peuple laotien. A la lecture des programmes politiques de toutes les organisations de lutte pour la Liberté, la Justice et la Démocratie au Laos, à la lumière de leurs structures administratives internes et de leurs fonctionnements respectifs, je crois pouvoir affirmer que le Parti Nation Lao est l'organisation la plus représentative du peuple laotien. Dans le MDL j'avais proposé plus de dix fois, mais sans résultat, la création d'une Commission des Minorités Ethniques pour écouter et coordonner les aspirations de chaque groupe ethnique en vue d'une meilleure compréhension entre les différentes ethnies laotiennes qui sont les forces réelles de la nation. Le MDL n'a pas entendu ma voix. C'est finalement Vientiane qui a créé cette Commission à l'Assemblée Nationale. Dans le Nèo Hom-France, les hmong , les khamou et les thaï-dam ne sont que les décors et les contribuables. Dans le Gouvernement d'exil du Général VANG Pao et de Phagna Louang Outhong SOUVANNAVONG ( aujourd'hui décédé et remplacé par Phagna Khamphay ABHAY), les hmong, en revanche, occupent ridiculement plus de 80 % des sièges. On y trouve même les députés et les fonctionnaires hmong du nouveau régime .

On avance parfois que la religion bouddhiste représente les vraies valeurs de la société laotienne. Personnellement je ne le pense pas, pour la simple raison que le bouddhisme n'est pas propre au Laos. Si je dois citer une organisation qui défend bien les valeurs traditionnelles laotiennes, tant artistiques que culturelles, je citerai volontiers l'Association des Femmes Lao en France. Je regrette seulement que Madame Sisombhon SOUVANNAVONG-SISOMBAT, pour qui j'ai une grande admiration, ait préféré la collaboration avec Vientiane au noble combat que nous avons mené côte à côte durant quinze années. Je me félicite que cette cause juste soit défendue aujourd'hui avec la même détermination, avec la même ténacité et avec le même dynamisme par Madame Sanong CHOUNRAMANY-SIHAPANYA, l'actuelle Présidente de cette prestigieuse Association .

HVM : - Vous avez dit que vous étiez retourné au Laos en juillet 1989. A l'époque le Laos était toujours un pays communiste. Vous avez même été très critiqué par vos amis politiques. Comment justifiez-vous ce voyage ?

TL : - Pour dire la vérité, j'étais assez content de ce voyage. Il m'a permis de constater sur le terrain ce que nous entendions à l'étranger. A mon retour j'ai même élaboré un projet de construction d'une école pour les enfants hmong du village Km 52. A l'époque je n'avais pas encore d'amis politiques. Je soutenais la résistance et me battais dans l'ombre. Mais c'est vrai que l'on m'a reproché ce voyage, y compris dans ma propre famille. En France on écrivait que j'étais un instrument au service du dictateur Kaysone PHOMVIHAN ( Journal Champa Muong Lao, sous la plume d'un certain Vixay KEONAKHONE viscéralement anti-monarchique ). En Amérique on me traitait de vendu et de sale communiste. Je ne cherche pas à me justifier. Mon combat politique me place au dessus de ces chants de perroquet. Je dirai simplement ceci . Primo le Laos est mon pays ; Il appartient à tous les laotiens et non pas seulement aux laotiens communistes. Secondo, tous les enfants laotiens, où qu'ils se trouvent et quel que soit le régime politique sous lequel ils vivent, ont droit à l'instruction, à la culture et aux soins médicaux. Tersio, rien ne dit et rien ne prouve que les enfants laotiens de la République Démocratique Populaire Lao sont des communistes. A partir de ces trois postulats chaque laotien est libre de ses faits et gestes. Je déconseille seulement à ceux qui ont une responsabilité politique de ne pas s'y aventure. En République Démocratique Populaire Lao , la loi est toujours au bout du fusil . Si vous allez là-bas, c'est votre droit, pour faire du tourisme ou pour rendre visite à vos proches, ne sortez pas des grandes villes et ne quittez pas les grands axes routiers, car le gouvernement communiste laotien n'a plus le contrôle du pays .

HVM : - On entend souvent les discours de nos hommes politiques et de nos officiers généraux exilés en France et en Amérique disant que le Prince SOUVANNAPHOUMA, Premier Ministre jusqu'en 1975, était responsable de la chute de la Monarchie laotienne, de la mort du Roi et de la mort de ses Ministres dont votre propre père. Le Prince aurait vendu le Laos aux communistes vietnamiens. Qu'en pensez-vous ?

TL : - Pour moi cette histoire est du passé. Mais puisque vous me la posez, je vous répondrai avec les éléments dont je dispose.

Je pense que ceux qui rejettent toute la faute au Prince SOUVANNAPHOUMA ne connaissent pas la Constitution laotienne ou ne savent pas la lire. Je pense aussi que ces Messieurs qui vivent aujourd'hui confortablement de leurs retraites à l'Etranger ne suivaient pas la conjoncture politique internationale de l'époque. Ils ont fui devant leurs responsabilités. Aujourd'hui Ils peuvent dire ce qu'ils veulent puisque les morts ne répondent pas et que les absents ont toujours tort. A la place de ces anciens Ministres, de ces anciens Généraux et de ces anciens Ambassadeurs qui ont fait leurs carrières et leurs fortunes sous la coupole de Souvannaphouma, j'aurais observé des réserves quant à mes critiques, ou alors j'aurais été un hypocrite opportuniste .

Voici quelques éléments de réponse à votre question. L'Histoire en jugera .

1 - Selon la Constitution du Royaume du Laos ( article 39, je crois ) le Roi nomme son Premier Ministre. Il n'est pas nécessaire que ce dernier soit le leader d'un parti politique majoritaire à l'Assemblée Nationale. Dans ces conditions, si le Premier Ministre ne fait pas son travail, le Roi peut le changer à tout moment. Si malgré tout le Roi maintient le Premier Ministre à son poste, c'est qu'il a ses raisons. On ne peut pas être plus royaliste que le Roi. Ou alors il faudrait admettre que le Roi avait tort de conserver son Premier Ministre, ce que je m'interdirait de dire. Car ce serait admettre que je suis plus intelligent et plus clairvoyant que le Roi. Ceux qui aujourd'hui rejettent d'emblée toute la faute à Souvannaphouma doivent réfléchir sur ce détail. On ne peut pas affirmer sa solidarité sans faille avec le Roi, et en même temps dire que la politique de son Premier Ministre est mauvaise ou que ce dernier est un traite, surtout quand on est soi-même membre du gouvernement. Entre nous lequel de nos Ministres et Généraux de l'époque a t-il protesté auprès du Roi sur le choix de Souvannaphouma comme Chef du gouvernement ? Lequel d'entre eux se montrait-il capable de remplacer Souvannaphouma ? Les américains, affaiblis par le scandale du Watergate, nous ont lachés. Richard NIXON se rendait à Pékin . Henry KISSINGER voulait son prix Nobel de la Paix. Les stars américaines dansaient à Hanoï. La coalition entre nord-vietnamiens, chinois, cubains, européens de l'Est et soviétiques était plus forte que jamais. Le Mur de Berlin était intouchable et infranchissable. Le communisme soviétique dominait le monde. Que pouvait faire Souvannaphouma, sinon négocier la paix avec la partie adverse pour sauver les dégâts. Il ne voulait pas voir les tanks nord-vietnamiens entrer dans Vientiane comme dans Pnom-Penh et dans Saïgon. C'est pourquoi il invitait ceux qui étaient contre la paix " négociée " à quitter le pays. Ceux qui l'ont fait , ont eu la vie sauve. Ceux qui sont restés dont mon propre père ont payé de leurs vies. Ces anciens Ministres, ces anciens Généraux et ces anciens Ambassadeurs, tous nommés par Souvannaphouma, auraient-ils préféré rester au Laos jusqu'au 2 décembre 1975 ? Je leur laisse le soin de répondre à cette question. Si l'on admet que le Roi ait été forcé de renoncer à son trône, pourquoi ne pas admettre aussi que Souvannaphouma ait été contraint de négocier avec les communistes qui contrôlaient pratiquement tout le pays. Sous la Monarchie constitutionnelle laotienne, le Premier Ministre présidait le Conseil de Cabinet. Le Roi présidait le Conseil des Ministres (article 17 de la Constitution). Par conséquent le Roi était au courant de toutes les décisions prises par le Gouvernement. Je m'incline bien bas devant le courage du Roi et de tous ceux qui ont choisi de mourir sur la terre laotienne afin que plus tard leurs enfants et leurs petits-enfants puissent acclamer haut et fort que cette terre leur appartient de droit .

Mon père s'est rendu à Samneua comme membre du Gouvernement pour la session d'ouverture du Conseil Politique Mixte. Il ne savait pas que la Monarchie allait tomber. Le Roi lui-même ne s'y attendait pas. Les américains ne voulaient pas un bain de sang au Laos. Dès le 2 décembre 1975 Souvannaphouma ne gouverne plus. Le Roi ne règne plus. Tous deux ont perdu la partie devant les manifestations de rues et devant l'abandon de postes de tous les responsables politiques et militaires. En politique, le vainqueur prend le pouvoir, le vaincu s'efface. En régime démocratique libéral on respecte l'opposition. En régime totalitaire marxiste-léniniste on élimine l'opposition physiquement. C'est pour cela que je combats à mort toute sorte de dictature et notamment ce communisme dit à la laotienne. Quand le Prince Souvannaphouma m'a dit , en 1982 à Paris , que mon père était encore en vie, je le pensait sincère. Il n'avait pas accès aux décisions criminelles du Bureau politique du Parti Communiste Lao. Plus tard j'ai eu l'occasion de rencontrer un ancien membre du Parti communiste qui m'a expliqué comment sous ce régime les mensonges ont été transformés en vérités, et les vérités en mensonges. Tant que les mémoires de Souvannaphouma ne seront pas publiés, je refuse de croire qu'il voulait la mort de mon père .

J'en conclut pour ma part que Souvannaphouma en tant qu'homme politique a perdu sa dernière bataille contre la gauche communiste. Certes il avait sa part de responsabilité politique dans la chute de la Monarchie, mais en aucun cas il n'a vendu le Laos aux vietnamiens. Les vrais coupables sont le communisme et ses serviteurs. Leurs noms sont sur les bancs des accusés de la Cour Internationale de Justice depuis longtemps. Même à titre posthume ils seront jugés et condamnés pour crimes de guerre et crimes contre l'Humanité .

2 - Tout le monde savait que la politique intérieure et extérieure du Royaume du Laos était soutenue par les Grandes Puissances , et principalement par les américains grâce à leurs dollars , dans le cadre des Accords de 1954, 1962 et 1973. Les coups d'Etat répétés entre 1960 et 965 se soldaient chaque fois par la reconduction et la confirmation de Souvannaphouma au poste de Chef de gouvernement, sous la pression des américains. Quand les militaires d'Extrême-Droite ont séquestré Souvannaphouma en 1964 avec intention d'attenter à sa vie, c'étaient les Grandes Puissances et en premier lieu les américains qui s'y opposaient et protestaient énergiquement, menaçant de couper toute aide économique, financière et militaire au Royaume. Quand Souvannaphouma était à deux doigts de la mort en 1974 par infractus, c'étaient encore et toujours les Grandes Puissances, dont les américains en première ligne, qui envoyaient chacune ses médecins spécialistes au chevet du Prince. C'était Souvannaphouma, et non pas une autre figure politique laotienne, qui signait le Livre Blanc dénonçant l'agression nord-vietnamienne contre le Royaume du Laos. Voilà un homme d'Etat dont la classe politique laotienne exilée veut salir la mémoire .

3 - On voit donc que Souvannaphouma était maintenu au pouvoir, à la fois par le Roi lui-même, par les américains, financiers et fournisseurs d'armes contre l'agression nord-vietnamienne et par l'ensemble des Grandes Puissances, garants de la neutralité du Royaume du Laos. Est-ce juste de mettre sur le dos de Souvannaphouma tous les malheurs du peuple laotien ? Sommes-nous plus intelligents et plus patriotes que notre Roi ? Sommes-nous plus intelligents que les américains ? Et sommes-nous plus intelligents que les Chefs d'Etat des Grandes Puissances de ce monde ? Comme chacun de nous, Souvannaphouma avait sa part de responsabilité dans la chute de la Monarchie . Mais cette Monarchie, le Roi et les américains pouvaient la sauver. Ils ne l'ont pas fait. Le Roi lui-même pouvait partir à tout moment. Il ne l'a pas fait parce qu'il aimait son pays et son peuple. Le Roi avait la responsabilité de quatre millions sujets et non pas seulement de quatre cent mille réfugiés. Dans les discours de nos hommes politiques et de nos généraux exilés, je crois qu'ils oublient trop souvent, et parfois volontairement, de désigner du doigt le Parti Révolutionnaire Populaire Lao et ses dirigeants non-voyants comme les véritables responsables. Je persiste et signe que le Parti Révolutionnaire Populaire Lao et ses dirigeants sont coupables de crimes contre le peuple laotien et contre la nation laotienne .

Pour votre information je vous cite ici un passage de l'interview accordé par le Prince SOUVANNAPHOUMA à la Revue Sud-Est Asiatique en 1982, qui se passe de tout commentaire.

" Tous les soirs avant de me coucher, j'ai écrit dans mes agendas ce qu'on m'avait dit dans la journée, etc. J'ai ces agendas? Je puis les reproduire, mais de mon vivant je ne veux pas écrire : je ne veux pas qu'on puisse dire que j'écris mes mémoires pour en tirer de l'argent. Je laisse mes agendas au gouvernement. Cela pourra servir à la rédaction de l'Histoire du Laos " .

A la question de savoir pourquoi, après la chute de la Monarchie laotienne, il n'a pas quitté son pays, comme le faisaient en leurs temps Bao Daï et Sihanouk, pour profiter à l'étranger d'un exil doré que sa fortune et ses relations lui auraient permis, Souvannaphouma a répondu simplement : " Je suis patriote avant tout. J'ai consacré ma carrière à mon pays. "

HVM : - Le Parti Nation Lao que vous dirigez est-il prêt à négocier avec Vientiane ?

TL : - Je ne sais pas ce que vient faire le mot négociation dans notre combat politique. Mais je puis vous assurer que le Parti Nation Lao est prêt à tout moment et en tout lieu, sous contrôle international, pour débattre avec Vientiane sur les solutions politiques aux problèmes de notre pays en vue d'une paix juste et durable. Plus vite nous nous assiérons autour d'une table, moins le sang laotien coulera. Il est grand temps que les dirigeants communistes laotiens pensent au peuple, à ses aspirations à vivre dans un Laos en paix, libre et démocratique. N'attendons pas que le peuple se révolte. Les images de la Roumanie au crépuscule du communisme sont dures, très dures, à supporter.

HVM : - Vous êtes laotien d'origine hmong, vos amis politiques vous acceptent-ils avec la même sincérité que si vous étiez un laotien d'origine lao ?

TL : - C'est une question qu'il faut leur poser. Pour moi nous sommes tous laotiens. Au sein du Parti Nation Lao cette discrimination est prohibée. Je profite de cette occasion pour rendre hommage à mes amis de Nation Lao et en même temps inviter tous mes compatriotes, quelle que soit leur origine ethnique, à s'unir autour de l'idée de Liberté, d'Egalité, de Fraternité, de Solidarité, de Démocratie et d'Indépendance Nationale pour faire Front Uni de Résistance contre la totalitarisme d’Etat dans notre pays .

HVM : - Y a-t-il des défaillances au Parti Nation Lao depuis sa création ?

TL : - Si vous appelez "  défaillances " les démissions, oui. Nous en avons eu deux : la première parce que l’intéressé était menacé de représailles par les autorités de Vientiane contre une partie de sa famille restée au Laos ; la deuxième parce que l’intéressé déjeunait souvent avec les ministres et les représentants du nouveau régime de passage à Paris et, qu’il trouvait cela incompatible avec son appartenance au Parti Nation Lao. Je les comprends. Je le regrette. Mais que voulez-vous ? Nous sommes un parti démocrate. Je n’ai pas connu d’autres cas de défaillance.

HVM : - On dit aussi que vous n’êtes pas très tendre avec les intellectuels. Que leur reprochez-vous ?

TL : - Je ne leur reproche rien. Je les trouve simplement peu intéressés à la lutte politique et au devenir du pays, probablement parce qu’ils ont le savoir et que, sur le plan individuel, ils s’en sortent toujours plus ou moins bien quel que soit le régime en place. Mais je crois que c’est un phénomène général. On sait bien partager le gâteau quand il est sur la table. On ne connaît pas les sueurs du pâtissier. Peut-être me trompé-je ?

HVM : - A votre avis est-ce qu’il y a une presse laotienne à l’étranger qui soutient la résistance ?

TL : - Je vous dis de suite non. On lit parfois des articles intéressants dans les journaux laotiens publiés aux Etats Unis, mais en même temps on y trouve des publicités et des reportages presque partisans sur les médiocres réalisations et sur la diplomatie du nouveau régime. C’est très bien ainsi. Je suis pour la liberté de la presse.

HVM : - Etes-vous soutenu ou encouragé dans vos actions par les autres leaders politiques ?

TL : - Il n’y a pas de leaders politiques laotiens reconnus comme tels par l’ensemble de la population réfugiée laotienne à l’étranger. Nous sommes des combattants pour la liberté et la démocratie. Pour répondre à votre question je dis non. Un laotien ne félicite et n’applaudit pas un autre laotien. C’est connu. Quand les laotiens organisent une fête ils la placent toujours sous le patronage d’un étranger. Mais es félicitations et les encouragements réconfortants de ceux qui se battent sur le terrain. Cela me rassure. Je n’aime pas beaucoup les discussions politiques de salon. Je préfère que l’on parle du Parti Nation Lao à Vientiane, à Phou Bia, à Muong Kasy et sur les rives du Mékong . Je m’y consacrerai.

HVM : - On dit que vous êtes royaliste. Ce terme n’est –il pas un peu rétro ?

TL : - C’est vrai que les termes "  royaliste " et " monarchiste " commencent à disparaître du vocabulaire politique. En Angleterre, en Espagne, en Thaïlande, au Japon et dans les pays nordiques, les partis politiques, expression de la démocratie, soutiennent la Monarchie. On ne dit pas qu’ils sont monarchistes ou royalistes. Conservateurs ou travaillistes, les britanniques ne remettent pas en cause l’institution de la monarchie. Donc, dire que je suis royaliste n’a pas de sens. Une chose est certaine : l’ennemi de mon ennemi est mon ami. La monarchie laotienne a été abolie par le Parti Communiste Lao dont je combats les idées antidémocratiques, voire fascistes. Si je nie la monarchie je donnerai raison aux communistes et je partirai déjà perdant dans la bataille politique contre Vientiane. Je ne veux pas que le parti communiste laotien puisse dire un jour qu’il avait raison de tuer le Roi. Savez-vous que le roi était moins riche et moins fortuné que certains dignitaires actuels du Parti Révolutionnaire Populaire Lao. Cela vous étonne, n’est-ce pas ? Savez aussi qu’en six siècles de monarchie " absolue " et trois décennies de monarchie constitutionnelle les rois laotiens ont mis vingt fois moins de laotiens en prison et en ont tué cinquante fois moins que le parti communiste laotien en a fait en 90 jours. J’ai honte pour mon pays quand je vois ériger sur la terre de nos ancêtres des monuments et des statues à la mémoire des bourreaux du peuple pris pour des demi-dieux et des héros de la on ne sait quelle révolution .Cela me fait penser souvent aux statues de Lénine en Europe de l’Est et au triste Mur de Berlin. Si la révolution consiste à tuer son prochain pour lui prendre sa place, voler ses biens et parfois même sa femme, je lui préfère effectivement, et de loin, notre vieille monarchie constitutionnelle. Je dis vieille parce que la monarchie laotienne de demain ne sera pas une monarchie exclusive pour les nobles comme par le passé, c’est à dire une monarchie de castes mais une monarchie pour le peuple. C’est le roi, et non pas la noblesse, qui symbolise l’unité nationale. Le devoir du souverain est de veiller à l’égalité entre ses sujets. Quand je vois les pénibles conditions dans lesquelles se marient un garçon de la " noblesse " et une jeune fille du "  bas peuple " au moment du baci ou du soukhouane, je ressens cela comme une véritable injustice quelles que soient les raisons invoquées. La monarchie de demain aura un visage adapté aux exigences du monde moderne et civilisé. Vous voyez que je ne suis pas le royaliste que vous croyez. Je n’avance pas les yeux fermés.

HVM : - Vous êtes de formation économique et de gestionnaire, mais on ne vous entend jamais vous exprimer sur l’économie ou sur les finances ? Y a-t-il une raison à cela ?

TL : - Chaque chose en son temps. Je n’offre pas une canne à pêche au braconnier. Je lui dis d’arrêter de polluer nos fleuves et nos rivières . Le problème laotien est politique. L’économie et les finances suivront.

HVM : - Quand on fait de la politique, on a forcément une ambition. Peut-on connaître la vôtre ?

TL : - Absolument ! J'en ai même beaucoup. Celle que je vous livre aujourd'hui est d'être utile à mon pays .

 

HVM : - Avez-vous un voeu à formuler ?

TL : - Que les laotiens réapprennent à vivre ensemble sous un ciel nouveau .

 

Propos recueillis par HMOOB VAM MEEJ

Décembre 1996

 

 

AVANT - PROPOS

 

Dans cette longue interview accordée à Hmong Va Méng j’ai pour ambition de faire comprendre à mes compatriotes et aux lecteurs de Paj Tshiab mon engagement politique. Je reconnais que le terme politique ne convient pas tout à fait au combat que nous menons. Je devrais plutôt parler de mon engagement dans la résistance ou de mon combat pour la liberté dans mon pays. Mais chaque fois que je prends la plume ou que je m’exprime en public je ne cesse de penser à la phrase désormais célèbre de Son Excellence Bong Souvannavong : "  Tout ce qui touche à l’homme et à la société humaine est du domaine de la politique. Les buffles, disait-il, ne font pas de la politique… ".

Un jour d’été 1971, pendant mes vacances universitaires au Laos, j’ai accompagné mon père chez son ami le Prince Boun Oum Na Champassak, dans sa résidence de Paksé. Au déjeuner le prince a demandé à mon père de lui raconter la vie à Vientiane. Dans leur conversation le Prince Boun Oum a prononcé une phrase qui m’a beaucoup intrigué. "  Vous savez, Phagna, disait-il à mon père, la politique est comme l’estomac. Quand on a faim on la fait. Quand on n’a plus faim on la laisse tombe ".

Après le déjeuner le prince nous a prêté une jeep pour nous rendre à Paksong, un véritable coin paradis laotien qui nous rappelait, par son climat doux et tempéré, notre regrettée ville de Xiengkhouang. Sur la route j’ai dit à mon père que je ne partageais pas la conception de la politique du Prince Boun Oum. Comme un nourrisson j’avais encore dans ma petite tête de moineau les cours de science politique appris à l’IEP de Bordeaux et dans les manuels classiques de nos maîtres de référence Maurice Duverger et Raymond Aron. Mon père m’a expliqué qu’en disant cela le prince pensait à la responsabilité des hommes politiques devant la nation. Quand le peuple est dans la misère, quand il souffre d’intolérances et d’injustices sociales les hommes politiques se doivent de trouver le remède. Si le peuple vit heureux il ne faut pas l’embêter avec la politique et les grands discours inutiles. Alors j’ai demandé à mon père sa conception de la politique. Il m’a répondu.

"  Mon fils, la route est étroite. J’observe que tu conduis trop souvent au milieu de la chaussée et que tu ne klaxonnes jamais. C’est dangereux ! Il faut garder toujours la file de droite et klaxonner avant chaque virage pour éviter les accidents. Car on ne sait jamais si un poids lourd ou une voiture avec des freins en mauvais état peut surgir en sens inverse ". Mon père n’a pas répondu à ma question. Je savais qu’il n’aimait pas la politique.

Quand on s’investit en politique, on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve. On ne fait pas de calculs économiques savants comme si l’on plaçait sa fortune dans une industrie, dans un commerce ou dans une banque. On ne cherche ni honneur, ni avantage pécuniaire. On a ses convictions. On se bat pour des idées simples que l’on croit bonnes et justes pour la société et pour son pays, sachant qu’elles auront une chance sur dix d’être comprises parce que l’on se heurtera forcément aux intérêts individuels, aux intérêts partisans et aux avantages acquis. Parfois on se créé des ennemis parce que, par nature, l’homme ne reconnaît jamais ses erreurs.

En République Démocratique Populaire Lao, le parti unique a le droit de vie et de mort sur la population. C’est la pays où il y a des hommes d’un côté et des sous-hommes de l’autre. C’est le pays où l’on n’est pas propriétaire de sa propriété pour des raisons de préférence nationale primaire absurdes et ignobles. C’est le pays où le coupable condamne l’innocent. C’est le pays où la corruption juge l’honnêteté. C’est le pays où le voleur gouverne le volé.

Comme ses montagnes, ses fleuves, son climat et sa population le Laos est un pays plein de contrastes et de caprices. A l’heure où tout le monde parle de réconciliation nationale, le voudrais que la diaspora laotienne prenne conscience que cette réconciliation n’aura de sens que si elle se fait dans un pays où chacun pourra s’exprimer librement. La génération présente se doit de réfléchir sur la solution d’une paix juste et durable afin que les générations futures puissent profiter pleinement de la vie et connaissent le bonheur commun. Le Parti Nation Lao y mettra du sien pour que les laotiens et les laotiennes retrouvent leur fierté et leurs sourires dans un Laos indépendant, libre, démocratique et respectueux des Droits de l’Homme.

 

 

Draveil, décembre 1996

Touxoua Lyfoung

 

 

 

 

 

 

AVERTISSEMENT

 

Cette interview a été réalisée au mois de décembre 1996, c’est à dire avant la scission du Parti Nation Lao en avril – mai 1997, suite à un putsch avorté de Ngeunsamlit DON SASORITH et Mangkra SOUVANNAPHOUMA contre le Président en exercice Touxoua LYFOUNG. Depuis lors Ngeunsamlit et Mangkra sont exclus du Parti Nation Lao. Le premier continue la subversion dans d’autres organisations politiques, tandis que le second opère au Conseil des Lao de l’étranger.

Les hommes passent, le programme politique et les objectifs du Parti demeurent

Draveil, avril 1999