Extrait de l’interview de Touxoua Lyfoung,

par Sou Thao, Directeur de RadioLao-Hmong

Fresno, 7 avril 1998.

 

 

ST – Monsieur Touxoua Lyfoung, vous êtes président d’un parti politique très engagé dans le combat contre l’actuel régime dictatorial au Laos, que pensez-vous du massacre perpétuel de la population Hmong par les dirigeants communistes laotiens ? Aux dernières nouvelles, l’armée communiste lao-vietnamienne aurait rasé plusieurs villages Hmong au nord du Laos sous prétexte que ces villages abritent des éléments hostiles au gouvernement .

TL – C’est un problème douloureux pour le peuple Hmong et pour moi en particulier qui suis issu d’une famille ayant versé son sang pour que les Hmong aient un toit et des droits civiques dans le Royaume du Laos devenu aujourd’hui, hélas, une province vietnamienne. Je pense que les dirigeants communistes laotiens commettent une faute politique lourde . Mais tout le monde sait qu’ils ne font qu’obéir aux ordres de Hanoï dont le but est de créer une haine raciale au sein de la population multiethnique laotienne, de dresser les laotiens les uns contre les autres.

ST – Je voudrais que vous me parliez de notre ami et compatriote VU Maï dont nous n’avons plus de nouvelles depuis qu’il est retourné au Laos .

TL - Le cas de VU Maï illustre bien l’actuel régime laotien fondé sur le mensonge, la tromperie, la trahison, la traîtrise et la langue fourchue . Nous savons que, par le passé, les communistes laotiens, sous l’appellation patriotique de Nèo Lao Hak Sat, n’ont jamais respecté une seule ligne des Accords de Paix de 1954, de 1962 et de 1973 .

VU Maï était un résistant de la première heure contre l’occupation du Laos par les troupes nord-vietnamiennes en 1975. Dans le camp de réfugiés Hmong de Ban Vi Naï, en Thaïlande, il avait une notoriété auprès des siens. Un jour il a été contacté par les autorités communistes laotiennes et les autorités thaïlandaises pour organiser le rapatriement des réfugiés dans leurs foyers d’origine sous contrôle du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. En France, ce programme de rapatriement est soutenu par l’OLREC, une Organisation Non Gouvernementale laotienne soi-disant reconnue par l’ONU. Fort de l’appui du HCR qui lui promettait de nouvelles installations au Laos aux frais de l’ONU et séduit par les paroles mielleuses des émissaires de Vientiane qui le couvraient de tous les honneurs, VU Maï prit la décision de retourner au pays à la tête d’un contingent de réfugiés Hmong. Depuis lors il ne donne plus signe de vie. Quand j’ai appris que VU Maï allait commettre cette erreur je lui ai écrit pour lui faire part de mon opposition et lui dire d’y renoncer, mais j’ai compris que mon avis ne pesait pas grand’ chose à côté des promesses de Vientiane et du HCR .

Dans cette affaire je crois que Vu Maï s’est fait avoir par le HCR et par l’OLREC qui, à leurs tours, se font avoir par le gouvernement communiste laotien. A l’annonce de la disparition de VU Maï j’ai demandé aux responsables de l’OLREC pour savoir ce qu’ils comptaient faire puisque l’OLREC avait, en son temps, approuvé et cautionné l’action de VU Maï. Ils m’ont répondu que l’affaire VU Maï était une affaire politique qui ne les regardait pas ; "  l’OLREC, disent-ils, ne s’occupe que des affaires humanitaires ". Quant au HCR la réponse est que le sort des rapatriés laotiens ne dépend que du seul gouvernement de la République Démocratique Populaire Lao. Personne n’a le droit de s’immiscer dans les affaires intérieures d’un Etat souverain.

L’affaire VU Maï prouve une fois de plus que la porte de la République Communiste Lao est fermée aux Hmong, sauf à ceux qui ont acquis une nationalité étrangère et qui ne se rendent au Laos que pour vider leurs portefeuilles ou se faire spolier par le régime.

ST - Vous avez raison de dire que VU Maï était un résistant. C’est compréhensible que les autorités de Vientiane ont intérêt à le réduire au silence (physiquement). Mais il y a le cas du Commandant Hmong Boua-Chou LY (officier supérieur dans l’armée communiste laotienne) et ses hommes qui ont toujours combattu aux côtés des forces du Pathet Lao, avant et après 1975. Nous apprenons que le Commandant Boua-Chou LY a été arrêté puis mis dans une prison de torture sans jugement aucun. Ses hommes sont traqués et sauvagement abattus. De quoi sont-ils coupables ? Pourquoi n’y a t-il pas un tribunal pour les juger ?

TL – Il ne faut pas confondre la République Démocratique Populaire Lao avec un Etat de droit. Dans ce nouveau Laos il n’y a pas de tribunal dans le sens que vous entendez. Et s’il y en a un, il est au service du Parti puisque les magistrats et les juges sont tous des hommes du Parti. C’est le Parti qui décide qui doit être poursuivi, qui est coupable, qui est innocent etc... Les ordres du Parti ont force de loi. Vous pouvez être le plus corrompu des corrompus ou même un bourreau du peuple et occuper les plus hautes fonctions de l’Etat si vous êtes membre du Bureau Politique. Vous pouvez également être un vietnamien et avoir les responsabilités de Premier Ministre laotien ou de Président de l’Assemblée Nationale laotienne puisque ces postes sont décidés et nommés par Hanoï. Dans le cas du Commandant Boua-Chou LY n’attendez pas un quelconque geste de clémence de la part du gouvernement communiste lao-vietnamien de Vientiane. Pour tuer un Hmong il trouve toujours une raison .

ST – En terres de liberté nous arrivons à vivre correctement sans trop de privations. Mais en République Démocratique Populaire Lao, nos frères meurent encore chaque jour de malnutrition, de maladie et de misère. Comment faire pour les sauver ?

TL – C’est vrai que ceux de nos frères Hmong qui, en 1975, ont choisi de rester au pays, mènent une existence précaire . J’ai eu l’occasion de le constater par moi-même lors de mon voyage au Laos en 1989, aux premiers jours de l’ouverture économique du pays . J’ajoute que nos frères Hmong réfugiés en Thaïlande ne sont pas mieux lotis . J’ai passé plusieurs journées auprès d’eux, à les écouter, pour comprendre que le malheur des Hmong faisait le bonheur des communistes lao-vietnamiens. On ne peut pas dire que les communistes ne savent pas gérer l’économie nationale . En vingt ans ils ont formé des cadres et des ingénieurs tout à fait capables de faire démarrer la machine économique du pays. Mais cela n’est pas leur but. Ils ont tué pour arriver au pouvoir. Ils continuent à tuer, par tous les moyens, pour y rester. Les régimes communistes ne survivent que par la terreur qu’ils font régner dans le pays et par la soumission du peuple réduit à l’état de misère et d’esclavage. Le jour où le peuple s’éveillera il n’y aura plus de place pour le communisme. Les dirigeants communistes laotiens le savent bien . C’est pourquoi, si nous voulons sauver le peuple Hmong, et au delà du peuple Hmong notre patrie et tout le peuple laotien que nous sommes, il faudra soutenir la résistance nationale. Je ne vois pas d’autre solution .

ST – Vous parlez de résistance nationale ! Je ne fais pas de politique, mais en tant qu’observateur je constate que depuis plus de vingt ans les politiques n’ont pas gagné une seule parcelle de terre laotienne, soit-elle minuscule, où nous pourrions mettre les pieds . Comment expliquer cela ?

TL – Je suis entièrement d’accord avec vous. Pendant longtemps j’avais toute confiance en nos anciens dirigeants. Mais plus le temps passe plus je m’aperçois que rien n’avance . Mon soutien à la résistance restait dans l’ombre. Puis, en 1991, lors de la constitution du Mouvement pour la Démocratie au Laos, j’ai accepté d’adhérer à ce mouvement. La main dans la pâte, j’ai compris peu à peu pourquoi nos hommes politiques, anciens et nouveaux, n’arrivent pas à se mettre d’accord pour s’organiser en un mouvement politique unique ou unifié face à la dictature de Vientiane. La raison principale est que chacun voudrait ses galons de chef. Les querelles sont fréquentes. On assiste même à une sorte de règlement de comptes entre les anciens. Mais au delà de toute cette mascarade, il y a une raison plus profonde. C’est la subversion communiste ! Pour être plus clair, je vous dis que des agents payés par Vientiane ont infiltré toutes les organisations de la résistance. Leur but est de casser.

ST – Vous soutenez la Monarchie. Pensez-vous vraiment que c’est la seule alternative ?

TL – Je pense que oui, et j’y. Vous avez dit vous-même que les politiques n’ont rien fait de positif durant ces vingt dernières années . Pour moi la monarchie n’est pas un recours mais une nécessité si demain nous voulons préserver un Etat laotien unitaire, à la condition, bien entendu, que le monarque joue pleinement son rôle .

ST – Nous sommes constamment à la recherche de l’unité nationale. Laissons de côté nos compatriotes Lao Loum qui, selon toutes les apparences, sont très divisés, même sur la question de la Monarchie. Revenons à nos frères Hmong. Vous savez comme moi que nous ne sommes pas aussi unis et aussi solidaires qu’on le pense. Il y a d’abord l’unité Hmong à faire. Avez-vous une idée dessus ?

TL – Vous avez raison. Je me souviens de mon séjour dans votre ville de Fresno, en décembre 1996, où j’ai assisté pendant trois jours à une démonstration absurde de divisions et de discordes au sein de la communauté Hmong d’Amérique pour des histoires de gros sous. Il n’y avait pas d’infiltration communiste. J’ai trouvé cela regrettable .

Les Hmong ont la particularité de s’organiser en Clans ou en Grandes Familles autour d’un Chef et, en Associations d’Entraides Sociales ( aujourd’hui très à la mode ! ). C’est une bonne chose . Je pense que leur unité pourra se faire si les chefs de clan ou de grandes familles et les présidents de ces nombreuses associations d’entraides acceptent de s’asseoir autour d’une table ronde pour se parler, s’écouter, discuter, débattre puis choisir un bon leader capable de défendre les intérêts de tous. Mais la vraie unité, la seule qui aura un sens, pour moi en tout cas, c’est l’Unité Nationale qui se fera au Laos où nous serons chez nous, toutes ethnies confondues.

 

traduit du Hmong